Les genres et sous-genres de l'imaginaire

Article de fond basé sur l'étude d'Apophis, qu'il a publiée dans son ouvrage Guide des genres et sous-genres de l'imaginaire, chez Albin Michel Imaginaire. L'auteur a fait des choix, basés sur des recherches approfondies et argumentées. Bien des points sont sujets à discussion et peuvent aussi varier selon que nous sommes du point de vue européen ou anglo-saxon. Le guide étant très complet, j'ai moi aussi fait des choix et résumé. Le livre est rempli d'exemples pour chaque sous-genre ; je n'en ai mis que quelques-uns.

Fantasy, fantastique, science-fiction : une petite définition

A. Le fantastique
Commençons par le fantastique, qui est une spécificité européenne. En effet, la littérature anglo-saxonne ne reconnait pas ce genre. Cependant, on peut y classer certaines œuvres, à posteriori.

Quelques exemples :
Guy de Maupassant ; Théophile Gautier ; Sheridan Le Fanu ; Edgar Allan Poe ; H.P. Lovecraft; Stephen King

B. La science-fiction


C. La fantasy


L'auteur développe une méthode imagée pour clarifier la différence entre les trois genres.


D. Genres ou sous-genres ?
Le débat est ouvert ! L'auteur du guide choisit de considérer comme des genres à part entière ce que d'aucuns considèrent comme des sous-genres, estimant qu'ils ont assez de caractéristiques particulières pour le mériter :
- Science fantasy : un mélange de science-fiction et de fantasy, où dans un univers de fantasy, des éléments scientifiques ont un rôle très importants, ou inversement.
Ex : le guerrier de Mars de Michael Moorcock, le Cycle de Mars d'Edgar Rice Burroughs
- Steampunk : univers souvent néo-victorien (mais pas toujours) rétrofuturiste dans lequel des technologies associées à des temps plus futuristes sont mises au point et influencent la societé (ce qui en fait aussi souvent une uchronie) ; il peut aussi y avoir de la magie, et cela peut se dérouler dans un monde imaginaire.
Ex : Les voies d'Anubis de Tim Powers ; Confessions d'un automate mangeur d'opium de Fabrice Colin et Mathieu Gaborit
- Uchronie : univers où l'Histoire a suivi un cours différent. L'évènement qui crée l'Uchronie est appelé Point de divergence : avant ce point, l'histoire est la même que la nôtre, après ce point, elle est plus ou moins différente.
Ex : La trilogie de la Lune de Johan Héliot, qui raconte qu'une espèce extraterrestre, basée sur la Lune, s'est présentée à nous à l'occasion de l'Exposition Universelle de 1889 et s'est alliée avec Naopléon III, transformant ainsi l'histoire telle qu'on la connait.
Les frontières sont poreuses entre ces deux derniers genres, puisqu'un roman peut appartenir à l'un et l'autre en même temps.

Les sous-genres de la fantasy
Sous-genres majeurs
- Héroïc-fantasy : Un protagoniste seul (ou avec un fidèle compagnon) qui combat pour lui-seul et pas pour sauver le monde, caractérisé par des valeurs ou des comportements "négatifs", comme l'égoïsme et la violence, sans pour autant être mauvais, au-dessus du commun des mortels (à cause de sa naissance, de sa destinée et de ses capacités martiales, physiques ou magiques). Les enjeux sont individuels (gagner de l'argent, se venger, retrouver son trône...). C'est le héros qui compte, pas le monde dans lequel il évolue. Le sous-genre de la Sword and sorcery est une variante où le héros utilise aussi bien la magie que la force brute et le surnaturel est plus présent.
Ex pour l'héroïc fantasy : Robert E. Howard, Conan - David Gemmel
Ex pour le Sword and Sorcery : Michael Moorcock - Clark Ashton Smith

- High fantasy : Le protagoniste n'est pas seul : il fait partie d'une compagnie ( d'une communauté, d'un groupe ...). La quête est liée à l'idée d'élu de la prophétie destiné à assurer la victoire du bien sur le mal pour sauver le monde. Les quêtes sont épiques, puisque le sort du monde est en jeu. La magie et le surnaturel sont très présents. Les nuances morales n'existent pas : les héros sont irréprochables et les antagonistes irrémédiablement maléfiques. Les valeurs positives sont à l'honneur : l'altruisme, la tempérance, l'entraide, le désir de justice, l'honneur.
Ex : J. R. R. Tolkien, Le seigneur des Anneaux - Robert Jordan, La Roue du temps - C.S. Lewis, Le Monde de Narnia - John Gwynne, Le livre des Terres Bannies

- Dark fantasy : C'est un peu l'opposé de la High Fantasy : les protagonistes ne sont parfaits ; les personnages ont une psychologie complexe, ni ou à la fois bons et mauvais (un peu comme les protagonistes de la Sword and Sorcery), voire les "antagonistes" sont les protagonistes du récit. Les intrigues sont caractérisées par la violence, souvent explicite et l'horreur. L'ambiance est lugubre, pessimiste et lourde. La survie et le bien-être des personnages ne sont pas (du tout) garantis.
Ex : Michael Moorcock, Le cycle d'Elric - Glen Cock, Cycle de La Compagnie Noire - Joe Abercrombie

- Urban fantasy : L'action se déroule sur notre Terre à l'époque contemporaine le plus souvent, dans un cadre obligatoirement urbain. Les éléments féériques et merveilleux ne sont pas connus du commun des mortels ; ils sont cachés. La découverte par un personnage de ces éléments n'entrainent pas de rejet, de terreur ou d'incompréhension et il n'y a aucun doute sur leur réalité ou la santé mentale du personnage, car sinon, c'est du fantastique. Le protagoniste a un lien très fort avec le monde surnaturel : il en fait partie, il a une ascendance surnturelle, il traque ou protège des créatures surnaturelles (en temps que "justicier", membre d'une organisation gouvernementale, officier de police...). La romance y a une part importante mais n'est pas essentielle à l'intrigue (car alors on parle de Paranormal romance). On y trouve aussi une critique sous-jacente de la societé urbaine contemporaine et une déclaration d'amour au merveilleux et à la nature.
Ex : Charles de Lint - Marie Brennan - Patricia Brigg - Jim Butcher - Neil Gaïman - Univers du Monde des Tenèbres

- Portal fantasy : Elle est caractérisée par l'existence de deux mondes coexistant dans deux univers parallèles (un monde "fantastique" et le nôtre ou deux mondes "fantastiques"). On passe de l'un à l'autre par un portail (armoire, terrier du lapin blanc, tornade, miroir ...). Ce portail n'est pas de nature technologique (car sinon nous sommes dans la SF ou la Science-fantasy). N'importe qui peut franchir ce portail : il n'y a aucune notion d'élu (sinon cela devient de la Crossworlds fantasy). Les enjeux de l'intrigue ne tournent pas forcément autour d'un combat du Bien contre le Mal ou d'un monde à sauver. La plus grande partie de l'histoire se déroule dans le monde surnaturel de l'autre côté du portail.
Ex : Lewis Carroll, Alice au pays des Merveilles, le Monde de Narnia (qui appartient aussi à d'autres sous-genres) - Stephen Donaldson, L'appel de Mordant - Naïl Gaïman, Coraline - Crossworlds fantasy : Stephen R. Donaldson, Les chroniques de Thomas Covenant - Guy Gavriel Kay, La Tapisserie de Fionavar

Évolution des sous-genres

- Gaslamp fantasy : Dérivé du steampunk et sous-genre de la fantasy. Esthétique steampunk (époque victorienne/edwardienne ou Régence) dans un univers imaginaire, sans uchronie ou rétrofuturisme obligatoire. Aspect merveilleux (magie, créature ..) très présent.
Ex : Anthony Ryan, le sang du dragon - Mary Brennan, cycle de Lady Trent

- Arcanepunk/fantasy industrielle : voir carte mentale à la fin de l'article

- Fantasy "exotique" : Les intrigues, les univers, les personnages ne sont plus d'inspiration médiévale-fantastique, européenne, chrétienne ou celto-germano-gréco-nordique : les mondes secondaires peuvent donc s'inspirer de la culture maya, aztèque, japonaise, hindou, chinoise, mésopotamienne, africaine, polynésienne, égyptienne ... . Bien entendu ce sous-genre peut se mêler à n'importe lequel des sous-genres précédents.
Ex : Stefan Platteau, Le sentier des Astres (inspiration indienne/hindou) - Tasha Suri, Empire of Sand (Inspiration Moghole) - Bradley P. Beaulieu, Les douze rois de Sharakhaï (inspiration arabo-perse) - Victor Fleury, La Prêtresse esclave (Inspiration mésopotamienne)

Les sous-genres majeurs de la science-fiction

- SF d'Anticipation : L'Anticipation est un genre plus large que la science-fiction. Elle consiste à imaginer l'évolution dans un futur plus ou moins lointain de certaines tendances (sociales, scientifiques, politiques, économiques, technologiques ...) présentes au moment de l'écriture du roman. La science-fiction d'Anticipation se concentrera donc sur les évolutions scientifiques et technologiques, ou mettra en scène un contexte ou la science joue un rôle important. Elle a pour but de susciter la réflexion du lecteur. Le ton varie d'un auteur à l'autre : enthousiasme, critique, cynisme, ironie ...
Ex : Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers - Greg Egan, Zendegi - David Brin, Terre

- Space opera : Une SF "à grand spectacle ", où le protagoniste est un explorateur émerveillé par les splendeurs de l'espace intersidéral, qui doit sauver, par les armes, dans son vaisseau ultra-perfectionné, l'univers contre un grand méchant très méchant. Le but est de divertir, mais la réflexion peut aussi exister, surtout dans les romans les plus récents. La science va du très réaliste (hard science) au totalement irréaliste, et tout ce qu'il y a entre les deux. L'ampleur spatiale et temporelle est immense : plusieurs systèmes solaires au moins et des milliards d'années. La psychologie des personnages est assez simpliste. Le ton peut être très sérieux, héroïque, ultra-optimiste et manichéen, ou mélodramatique.
*Ex : Edmond Hamilton, cycle du Capitaine Futur (origine de Capitaine Flam) - E.E. "Doc" Smith, Le cycle de Fulgur - A.E. Van Vogt - Isaac Asimov*
Ce sous-genre a évolué et, tout en conservant l'épique, le sense of wonder, la démesure spatiale et temporelle,il intègre une psychologie des personnages plus développée, une écriture moins basique et un certain degré de réflexion. L'ambiance est plus sombre et plus réaliste.
Ex : Iain Blanks - Peter Hamilton - James S. A. Corey - Dan Simmons - Greg Bear - Grégory Benford

- Planet opera : Variante du Space Opera qui se concentre sur l'exploration d'une planète, qui a une caractéristique peu commune et importante dans l'intrigue. Les romans sont écrits dans le but de divertir et d'offrir une réflexion (sur l'écologie, l'anthropologie, le colonialisme ...). Si l'ampleur spatiale est limitée à une planète, au niveau temporel, l'histoire peut couvrir plusieurs générations ou plusieurs millénaires. La science utilise tout le panel possible : de la hard science à la fantasy. Les tons sont très variés : épique, héroïque, sombre, réaliste ...
Ex : Frank Herbert, Dune - Kim Stanley Robinson, Le cycle martien - Stanislas lem, Solaris - Jack Vance, Le cycle de Tschaï

- SF transhumaniste : ce sous-genre s'intéresse à l'évolution de l'humanité, à travers l'utilisation de technologies avancées comme la cybernétique, la nanotechnologie, la génétique, les réalités simulées, ou par l'évolution naturelle pour mener à un état de Post-humanité. Il est bien souvent couplé à d'autres genres, comme le Space Opera ou le Hard-SF.
Ex : Peter F. Hamilton, cycle du Vide - Stephen Baxter, Evolution - David Brin - Ann McCaffrey, Le vaisseau qui chantait

- Hard-SF : sous-genre dans lequel la science présentée respecte les lois de la Nature connues/théorisées au moment de l'écriture et/ou qui met en valeur les détails scientifiques et techniques. L'objectif premier est de faire réfléchir le lecteur. La psychologie des personnages peut être très développée, ou non, car ce n'est souvent pas les personnages qui sont au cœur de l'intrigue. L'univers est très réaliste et peut être très noir et pessimiste.
Ex : Greg Egan, Diaspora - Peter Watts, Au-delà du gouffre - Kim Stanley Robinson, la trilogie martienne - Andy Weir, Projet dernière chance, Seul sur Mars

- Soft-SF : Contrairement à la précédente, les romans de Soft-SF se concentrent moins sur les sciences dures (ce qui peut donner un univers peu réaliste ) que sur l'humain. Le but est de réfléchir sur l'humanité et cela utilise surtout les ressources des sciences sociales et des sciences humaines. L'intrigue peut se dérouler dans plusieurs systèmes, sur une seule planète, dans un futur plus ou moins lointains. Le style est solide et la psychologie des personnages développée.
Ex : Philip José Farmer, Le monde fleuve - Becky Chambers, L'espace d'un an - Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon - Philip K. Dick - Ray Bradbury - Ursula Le Guin - Robert Silverberg - Michael Moorcock - Roger Zelazny

- SF apocalyptique et post-apocalyptique : Le récit est centré sur la destruction du monde, que ce soit pendant le désastre (apocalyptique) ou les conséquences du désastre (Post-apocalyptique). L'objectif est double : faire réfléchir le lecteur, notamment sur le monde d'après ou sur les causes de l'apocalypse (désastre écologique par exemple) mais aussi mettre en valeur l'aspect aventure/survie, dans le monde d'après. Les sciences dures sont mises en avant dans les récit qui se concentrent sur l'apocalypse elle-même, alors que dans les œuvres post-apocalyptiques, ce sont les sciences sociales qui sont convoquées. Cela se déroule bien souvent dans un futur proche et sur la Terre, mais pas toujours. L'écriture est souvent solide et s'attache à la psychologie des personnages. L'univers est réaliste et le ton est souvent pessimiste (mais peut être optimiste dans le cas d'un récit post-apocalyptique où les êtres humains ont réussi à reconstruire une société bien meilleure).
Ex : Neal Stephenson, Anathèm - Richard Matheson, Je suis une légende - Stephen King, Le Fléau - J. G. Ballard, Le monde englouti - Greg Bear, La musique du sang

- SF dystopique : C'est une forme d'anticipation qui montre une société future qui a mal tourné (une contre-utopie), dans le but d'interpeller le lecteur sur les problématiques sociales, politiques, environnementales, éthiques, religieuses. L'univers est bien souvent une société totalitaire et inégalitaire, un monde surpeuplé, ravagé par la guerre ou les désastres climatiques par exemple. La psychologie des personnages est très développée. Le ton peut être exagérément cynique et noir pour renforcer le propos.
Ex : Georges Orwell, 1984 - Ray Bradbury, Fahrenheit 451 - Margaret Atwood, La servante écarlate - Aldous Huxley, Le meilleur des mondes - Robert Silverberg, Les monades urbaines - Jean Molla, Felicidad - beaucoup d'oeuvres de Cyberpunk


Un point sur les genres "punk"
Pourquoi "punk" ? En anglais, ce mot signifie "voyou". C'est un référence à l'aspect nihiliste, négatif et sombre de la plupart des œuvres de ces genres. Dans la carte mentale ci-dessous, vous trouverez une présentation des principaux genres en "-punk" : à gauche ceux qui appartiennent à la science-fiction, à droite ceux qui appartiennent à la fantasy.



Conclusion

Les genres de l'imaginaire sont une vaste galaxie de sous-genres qui se croisent et s'entremêlent. Ils sont poreux et une œuvre peut appartenir à plusieurs sous-genres en même temps, ou bien ne pas cocher toutes les cases. L'objectif de cet article était de mettre un peu d'ordre dans nos étagères mentales et peut-être parvenir à mieux situer nos propres œuvres et celles que nous lisons. Si vous avez connaissance d'un sous-genres que je n'ai pas mentionné, je le rajouterai avec plaisir. Évidemment, tout est discutable, alors n'hésitez pas à commenter ou à donner des titres d’œuvres que vous avez lues en précisant sa catégorie, afin que j'étoffe la bibliographie des lectures de notre communauté.